"Voir Varanasi, et mourir..."


Près d'un milliard d'indiens hindouistes en rêvent. Varanasi est LA ville sacrée par excellence, celle qui apporte la rédemption, le salut, la fin du cycle infernal des réincarnations. 

Varanasi plonge ses "ghats" (marches qui descendent vers les berges d'une rivière ou d'un bassin) dans les eaux du Gange, auxquelles les hindous prêtent le pouvoir de laver de tous les péchés. Le fleuve serait né de la chevelure du dieu Shiva, le Bon, le Puissant, le Créateur, dont Varanasi, Cité la plus ancienne du monde, serait l'une des demeures. 

Mark Twain, l'auteur anglais, aurait même écrit: "Benaras is older than history, older than tradition, older even than legend and looks twice as old as all of them put together."


Ce moment, je l'attendais depuis longtemps. Pas d'y mourir, bien entendu, mais de la vivre. En onze mois en Inde lors de mon année universitaire treize ans plus tôt, puis en deux autres voyages en 2008 et 2012, je n'y avais pas encore mis les pieds. Un festival de musique classique indienne ne pouvait être meilleure occasion que de découvrir la ville. C'est comme ça que nous avons posé nos dates, en fonction du Sankat Mochan Sangeet Samaroh, l'un des événements musicaux les plus réputés du pays pour les pointures qui viennent s'y représenter. Tous les concerts, gratuits et donc accessibles à tous sans exception, prennent place au sein même d'un des temples les plus importants de la Cité, dédié à Hanuman, le dieu-singe, fidèle serviteur dévoué au dieu Rama, et l'une des divinités les plus populaires et vénérées en Inde.


Varanasi est une ville mythique et mystique. Elle abrite les plus fervents croyants, comme ceux de pacotille, qui profitent de la candeur et la naïveté d'une grosse poignée de hippies perchés occidentaux à la recherche de sensations fortes et nouvelles, par la consommation de weed notamment, banalisée ici car largement utilisée dans les rites shivaïtes, et par l'atmosphère intense et presque dérangeante de ce lieu hors des âges, hors du temps, où la vie et la mort se côtoient sans cesse, naturellement, sans concession. Les corps sont brûlés à la vue de tous, et quand les moyens n'y sont pas, et que la quantité de bois n'est alors pas suffisante, il n'est pas rare de voir des parties du corps découvertes en train de brûler... c'est ainsi que nous avons vu un crâne à la chair partant en lambeaux sous l'action des flammes... Déroutant...


Les chiens sont légions dans cette ville, et eux aussi, comme les humains, meurent à la vue de tous... Nous avons vu pas moins de trois cadavres de chiens, un chiot au milieu d'une ruelle passante, un autre sur le parvis d'une porte, et le dernier sur les ghats, près d'une poubelle, attaché visiblement...


Varanasi est une ville dure, à l'image de l'Inde. Mais elle est aussi la ville de la beauté. Les vues depuis les ghats sur le Gange et les bâtiments historiques de la ville sont inoubliables. Le festival nous a aussi permis de nous en convaincre. La musique indienne est un art en finesse, très complexe et ornementé. Les danses qui les accompagnent souvent (bien que ce soit en général plutôt l'inverse, la musique accompagnant les danses), sont elles aussi fascinantes. Nous avons littéralement été subjugués par un danseur, qui en l'occurrence était un européen (anglais je crois) vivant en Inde depuis l'âge de huit ans. La précision des gestes, l'intensité des regards, le langage de chaque mouvement, et tout l'amour et la conviction partagés nous ont laissés sans voix. Le danseur faisait corps avec la musique, et notamment avec les tablas, la rencontre était parfaite, à l'unisson, tout faisait sens. La ferveur du public aussi. Réserver un tel accueil à un danseur étranger qui plus est, ce n'était pas gagné ! Mais l'Inde est aussi universelle. Ici, la musique a rassemblé le monde entier. Des musiciens musulmans étaient également invités, dans le temple hindouiste. Les gens étaient juste heureux d'être là, dans ce lieu de vie, tous ensemble, et personne ne semblait mal à l'aise, pas à sa place. Petits et grands, hommes et femmes, toutes classes sociales et confessions confondues... hormis peut-être les Dalits, les intouchables... en ça réside toute la cruauté de l'Inde, et de son système des castes, immuable et éternel...


Nous avons bien entendu fait des rencontres à Varanasi. Mateusz, un jeune polonais photographe en voyage en Asie du Sud-Est puis en Inde pendant quatre mois, avec qui nous avons partagé des moments bien sympathiques. Gaurav, rencontre furtive au festival avec ce jeune flûtiste passionné, venu écouter ses Maîtres sur scène. Lakshminath Mukherjee, son mari et son fils, Alecnath, une famille de sadhus, qui pourraient très bien s'avérer être des Aghoris, cette branche sombre et subversive de l'hindouisme à laquelle on prête des pratiques telles que le cannibalisme sur des cadavres... Mythe, ou réminiscence de pratiques anciennes ? Je vous en dirai plus sur cette rencontre dans un article à part. Et enfin Victor et Tania Banerjee, un couple de bengalis, lui photographe, elle passionnée par les oiseaux, avec qui nous avons discuté une heure sur les ghats, et qui nous attendent avec joie chez eux, à Kolkata... Pour une prochaine fois peut-être ?


Ah, excusez-moi, j'en oubliais une, rencontre pour le moins Bollywoodienne. Je m'étais appuyée contre un mur, le regard perdu au loin, tourné vers le Gange. En contrebas, un photographe se tourne vers moi, et me demande timidement s'il peut me prendre en photo. J'accepte volontiers, pourquoi pas après tout ? Et là, tout s'est enchaîné. Le type s'est emballé, et ne pouvait plus s'arrêter de me photographier, me disant que j'étais un modèle incroyable. Je sentais Vincent un peu jaloux et impatient, mais de mon côté j'étais assez curieuse du résultat... À l'heure où je vous écris je n'ai reçu pour l'instant qu'une seule photo, mais celle-ci promet une belle série digne de la plus terrible tragédie que le cinéma indien n'ait jamais connu !


Varanasi mériterait que l'on s'y attarde beaucoup plus longtemps. Déjà rien que pour la douceur des meilleurs lassis de toute l'Inde. Mais nous avons des rdv à honorer: tout d'abord, JB nous attend chez lui, à Bombay. Ce sera ensuite le tour de rendre visite à notre ami peintre et tatoueur Vijay, à Goa, où nous nous rendrons à vélo, de Bombay. Nous serons également rejoint par Lulu et Jess, qui sont en ce moment en voyage dans le Sud de l'Inde. Puis Pune, retrouver mes anciennes copines de classe, et quelques profs peut-être, avant de remonter dans le nord et terminer notre séjour indien par un peu plus d'un mois à nous aventurer à vélo dans les paysages montagneux et isolés du Tibet indien, dans la Spiti Valley...


(Marlène)